Le métier d’ingénieur, longtemps perçu comme un symbole de réussite, de stabilité et de prestige, se transforme silencieusement. À travers une enquête inédite par sa méthodologie imbriquée – données quantitatives et qualitatives – conduite par l’Institut Gaston Berger du Groupe INSA, avec le soutien de la Fondation INSA et du groupe Egis, une nouvelle réalité se dessine : celle d’une génération qui redéfinit ses priorités, interroge les codes du management et bouscule les récits traditionnels autour du travail. Cette étude révèle plusieurs enseignements nouveaux et majeurs : la désillusion rapide des jeunes actifs face au métier, un CDI devenu levier de négociation plutôt que d’engagement et une ambition féminine encore bridée malgré une forte motivation à s’investir. Une évolution qui intervient alors que la France doit former 100 000 ingénieurs et techniciens par an d’ici 2035.
Un métier réévalué très tôt, dès l’entrée dans la vie active
L’un des enseignements clés de l’étude est la prise de conscience précoce d’un décalage fort entre la formation et la réalité du terrain. Alors que 67 % des étudiants considèrent qu’être ingénieur, c’est avant tout être un expert technique, ce chiffre tombe à 50 % chez les jeunes actifs, dont 24 % perçoivent désormais leur rôle comme celui d’un simple exécutant.
Le statut de cadre, autrefois prestigieux, est de plus en plus remis en question : il est souvent associé à une surcharge de responsabilités ou à une hiérarchie figée. Cette dissonance génère un désengagement marqué, des changements de trajectoire dès les premières années (vers l’ESS ou d’autres secteurs), et un recul de la projection à long terme dans la filière. Par ailleurs, la carrière linéaire (ingénieur, manager, cadre supérieur) n’est plus perçue comme un modèle désirable ou suffisant.
Un rapport au travail plus équilibré, avec de nouveaux critères de fidélité
L’étude met en lumière une mutation profonde du rapport au travail : les jeunes générations d’ingénieurs ne veulent plus « faire carrière » à tout prix, mais cherchent avant tout du sens, de l’autonomie et un bon équilibre de vie.
Contrairement aux idées reçues, le CDI reste une attente forte (77 % des femmes, 55 % des hommes) — non pas comme un engagement durable, mais comme un point d’appui pour négocier son autonomie et sa stabilité. Seuls 9 % des répondants considèrent que le travail est plus important que les autres sphères de vie; pour 49 %, il est à égalité, et 39 % le jugent moins prioritaire.
L’intérêt du travail, la qualité des relations humaines et l’éthique comptent désormais plus que la notoriété de l’entreprise ou le statut proposé.
Femmes ingénieures : une ambition affirmée, mais encore freinée
Autre révélation forte de l’étude : les femmes ingénieures affichent des ambitions claires, mais se heurtent à des freins structurels persistants. Dès leur premier emploi, elles expriment un besoin marqué de sécurité et de visibilité :
- 77 % privilégient un CDI comme gage de stabilité,
- elles sont nombreuses à chercher des environnements structurés, inclusifs, avec des critères clairs d’évolution.
Mais cette projection s’accompagne d’un sentiment d’illégitimité plus fort :
- 46 % doutent de leur légitimité à manager (vs 32 % des hommes),
- 29 % ressentent le besoin constant de faire leurs preuves (vs 16 % des hommes),
- et 33 % déclarent vivre cette pression au quotidien, contre seulement 10 % chez les étudiantes, avant l’entrée dans la vie active.
Enfin, les femmes ingénieures se distinguent également par leur rapport au sens du métier :
41 % associent leur rôle à une responsabilité vis-à-vis des enjeux écologiques, contre 27 % des hommes, qui restent davantage attachés à une logique de preuve de compétence et de légitimité statutaire. La montée en responsabilité des femmes ingénieures est un levier encore sous-exploité pour fidéliser et valoriser les talents.
Chiffres clés de l’étude
- 67 % des étudiants considèrent l’ingénieur comme un expert technique;
- 24 % des jeunes actifs se voient comme exécutants;
- 93 % des étudiants INSA priorisent l’intérêt des missions dans leur choix d’employeur;
- 77 % des femmes actives privilégient un CDI, contre 55 % des hommes;
- 46 % des femmes doutent de leur légitimité à manager, malgré une ambition équivalente à celle des hommes;
- 33 % des jeunes actives déclarent devoir constamment faire leurs preuves, contre 10 % des étudiantes.
Autres chiffres clés de l’étude
1. Du désir à la réalité
- 67% des étudiants pensent qu’être ingénieur c’est d’abord être un expert technique contre 50% des jeunes actifs ;
- 41% des étudiants pensent que c’est manager une équipe, contre 29% des actifs ;
- 24% des jeunes actifs pensent que c’est d’abord être un exécutant opérationnel contre 14% des étudiants.
2. Un nouveau rapport au travail à rebours des anciens modèles de carrière
- 9% des personnes interrogées pensent que le travail est plus important que les autres sphères de la vie;
- 49% que ça l’est autant ;
- 39% que c’est moins important.
3. Les représentations associées au métier d’ingénieur sont la manifestation d’un clivage de genre
- 41% des femmes interrogées associent le statut d’ingénieur à une responsabilité face aux enjeux écologiques contre 27% des hommes ;
- 51% des hommes l’associent à une preuve de compétence et de légitimité contre 39% des femmes.
4. Pour les femmes, le travail avant tout et plus grande stabilité
- 17% des femmes actives déclarent que leur travail est plus important que tout, contre 11% des hommes actifs;
- 77% des femmes actives privilégient un CDI pour un premier emploi contre 55% chez les hommes.
5. Quand l’ambition des femmes se heurte à la réalité masculine de la filière
- 33% des jeunes actives ont l’impression de devoir systématiquement faire leur preuve face à leurs collègues masculins. Une idée moins prégnante chez ces jeunes ingénieures avant qu’elles entrent dans la vie active : seulement 10% des étudiantes partagent cette opinion.

