Le secteur de l'aviation traverse une zone de turbulences. La pandémie de Covid-19, les tensions géopolitiques et la crise climatique structurelle ont toutes entraîné des conséquences sur les opérations, les budgets et les stratégies du secteur. À l'horizon 2024, quelles sont les prévisions de notre directeur commercial pour l'aviation, Jean Demars ?
Les grands enjeux
Le climat arrive au premier plan. Si l’on considère l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55 % en 2030 par rapport au niveau de 1990, les émissions nettes de GES de l'UE ont baissé de 30 % en 2021, tandis que la prospérité a augmenté de manière significative au cours de la même période. Ce résultat inclut les émissions de l'aviation internationale et tient compte des effets de puits de carbone liés à l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la sylviculture. Cependant, dans un contexte géopolitique difficile, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine, des troubles en Azerbaïdjan et du conflit au Moyen-Orient, la part que représentent les activités militaires et les ressources allouées se sont accrus dans le même temps. Au-delà des avions et de l'espace aérien, il est clair que les priorités en 2024 évolueront pour prendre en compte non seulement la réduction de l’empreinte carbone, mais aussi la coopération civil et militaire, ainsi que les sujets de cybersécurité. Tous les acteurs de l'aviation seront concernés, mais les décisions se joueront au niveau paneuropéen et au niveau des États.
Du point de vue de l'ATM, les décideurs se concentreront sur la question des retards de vols, les exigences du ciel unique européen telles que la liaison de données, la notion de « flight object », l'ADS-B, la cybersécurité, la coordination civilo-militaire, les nouveaux utilisateurs de l'ATM tels que les avions eVTOL et, bien sûr, la performance environnementale. Ces sujets devront faire l'objet d'un suivi en termes de conformité à la réglementation et de performance technologique. L'innovation dans ces domaines sera essentielle au cours de la prochaine décennie, et la résilience et l'évolutivité de l'ATM resteront un objectif clé pour répondre aux préoccupations en matière de d’utilisation des ressources et d'économie. Pour atteindre ces objectifs, on peut s’attendre à un découplage de la prestation de services via des centres virtuels par l'intermédiaire de fournisseurs de services de données ATM (ADSP) afin d'améliorer l'efficacité. Nous entrons dans une ère davantage centrée sur l'utilisateur final, ce qui pourrait conduire à l'introduction de nouveaux acteurs apportant des services novateurs et à la création de partenariats industriels entre les acteurs traditionnels. Certains grands ANSP européens sont déjà à la recherche de partenariats innovants pour se préparer à un nouvel avenir.
Un tournant pour l'aviation
Les compagnies aériennes multiplient leurs efforts autour de l’efficacité des vols et se concentrent sur le renouvellement de leur flotte et les initiatives en matière de carburant durables (SAF). En Europe, les obligations de mélange de SAF et l'augmentation de la tarification du carbone vont probablement conduire à une augmentation du prix des billets. Le règlement ReFuel de l'UE sur l'aviation exige un mélange de SAF de 2 % d'ici à 2025, de 6 % d'ici à 2030, avec une augmentation progressive jusqu'à 70 % d'ici à 2050. La moyenne de l'industrie en 2022 étant de 0,3 %, il y a visiblement des marges pour une progression substantielle.
Dans les airs, la meilleure solution semble reposer sur l'avion à hydrogène pour les longs courriers, l'avion électrique et la mobilité aérienne avancée (AAM) pour les trajets plus courts, mais il faudra attendre des décennies pour leur mise en œuvre. Dans l'intervalle, les SAF sont au centre des préoccupations, de même que les solutions d’optimisation des vols telles que les opérations de descente continue, celles basées sur la trajectoire, le roulage électrique et la recherche essentielle sur les émissions autres que le CO2. N'oublions pas non plus les technologies hybrides, qui peuvent également jouer un rôle en attendant que l'hydrogène et les SAF prennent de l'ampleur.
Au sol, nous assistons à une tendance progressive à se détourner des transports qui nécessitent des énergies fossiles, des bâtiments qui consomment d'énormes quantités de béton et d'acier et d’une utilisation non raisonnée de l'énergie. La demande porte aujourd’hui sur des bâtiments renouvelables et autonomes, qui génèrent leur propre énergie grâce à des technologies de vitrage thermique et à des techniques de régénération de l'eau de pluie.
Les solutions de transport respectueuses de l'environnement permettant de desservir les aéroports seront également au cœur des enjeux. La multimodalité est le mot d'ordre, comme en témoigne la directive révisée sur les systèmes de transport intelligents (STI), qui met à disposition des données de haute qualité en temps voulu pour des services tels que la planification d'itinéraires multimodaux et les services de navigation. La Commission européenne envisage un système de transport plus intelligent et interopérable permettant une gestion plus efficace du trafic et de la mobilité de manière transversale pour les différents modes de transport tels que l'aérien, le ferroviaire et le routier. Une bonne intégration de l'aviation et du rail apporterait des avantages considérables, mais les progrès sont lents.
Qui sont les principaux influenceurs ?
La réponse est : les institutions. Même s’il existe une certaine inertie dans le rythme du changement, ce sont bien les institutions qui ont le pouvoir et la responsabilité de donner la direction de ces futures évolutions. Elles ont désormais besoin de données pour identifier les indicateurs clés de performance qui soutiendront efficacement les actions positives en matière de mesures environnementales. Elles ont également besoin d’un feu vert pour encourager tous les acteurs de l'aviation, que ce soit par la fiscalité, les subventions, les systèmes d'échange de quotas d'émission ou d'autres mesures. La Commission européenne, ses agences et ses partenariats jouent un rôle de premier plan dans la résolution de ces problématiques. Ils sont à l'avant-garde sur des sujets clés tels que l'environnement, les fournisseurs de services de données ATM (ADSP), le schéma directeur ATM européen (qui sera mis à jour avec toutes les parties prenantes en 2024) et le déploiement des solutions SESAR. Le "Green Deal" européen vise à faire de l'Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d'ici à 2050, et le ciel unique européen est l'un des sujets les plus incontournables, la réforme devant permettre de réduire jusqu'à 10 % les émissions du transport aérien d'ici à 2035.
Les défis pour l'avenir
En juin 2024, on peut s’attendre à voir un véhicule de mobilité aérienne avancée (AAM) survoler Paris pendant les Jeux olympiques (une démonstration d'ADP). Dans les 15 prochaines années, il est tout à fait envisageable que les voitures soient remplacées par de petits véhicules AAM garés dans nos allées, réduisant les embouteillages, les accidents et la pollution. Il suffirait d'indiquer sa destination pour que le véhicule nous guide à destination de manière autonome. Le délai de concrétisation de ces évolutions dépendra de l'acceptation du public... à quel rythme sommes-nous prêts à changer les choses ?
Les difficultés d’intégration dans l’espace aérien, la concurrence entre poursuite d’objectifs sociaux et économiques sont tous aujourd'hui les ennemis du progrès. Nous ne progresserons pas dans la mise en place d'une solution de transport aérien véritablement intégrée pour la prochaine génération, qui tienne ses promesses en matière d'environnement, soit efficace sur le plan opérationnel et viable sur le plan économique, tant que nous n'aurons pas complètement repensé l'aviation et que nous n'aurons pas mis en place un organe de décision indépendant.
Nous devons associer de plus en plus les activités de l'ATM et des aéroports, et adopter une vision globale de l'ensemble, dans la mesure où ces activités sont intrinsèquement liées. Notre défi (que nous soyons compagnies aériennes, fournisseurs de services de navigation aérienne, aéroports, Egis, tous !) est d’entamer un vrai dialogue et de convenir d'une feuille de route pour modifier nos indicateurs clés de performance afin de favoriser le développement durable.
Chez Egis, les choses changent et nous fixons nos propres lignes rouges à ne pas franchir. Le charbon, les nouveaux champs pétrolifères, les énergies fossiles non conventionnelles, ainsi que tout projet émettant plus d’une gigatonne d’équivalent CO2 sur sa durée de vie sont désormais proscrits. Nous reconnaissons les retombées sociétales, économiques et structurelles que génère le secteur aérien. L'aviation n'est pas l'ennemi en soi, ce sont les émissions qui sont à combattre ! L'aviation doit donc changer elle aussi, et ce plus rapidement que jamais.
Sources :
- europa.eu, total greenhouse gas emissions trends
- iata.org, air passenger market analysis
- aci-europe.org, airports press release
- eurocontrol.int, eurocontrol forecast, autumn 2023
- easa.europa.eu, Single European Sky, Plan of the European Green Deal
- oliverwyman.com, Post-Covid trends in Airline Economic Analysis 2022-2023
- europa.eu, Sustainable Transport: rules to boost intelligent transport systems for safer and more efficient transport agreed