Les villes sont bien souvent le produit de leur histoire : leurs rues racontent leurs agrandissements successifs (les boulevards parisiens épousent ainsi les anciennes enceintes construites par Charles V au XIVe siècle et le mur des Fermiers Généraux, érigé au XVIIIe siècle), leurs relations plus ou moins tumultueuses avec leurs voisins (comme en témoignent les dizaines de citadelles créées par Vauban partout en France) ou, plus prosaïquement, la volonté de leurs responsables politiques (les transformations engagées par le baron Haussmann, préfet de la Seine, en étant un exemple emblématique).
Même en l’absence de bouleversement historique, la ville est un être vivant, en perpétuelle transformation. Elle évolue en permanence en fonction des habitants, des usages, ou des conditions qui s’imposent à elle. Les villes doivent ainsi s’adapter à l’urbanisation croissante, qui implique d’accueillir de plus en plus de personnes, à l’étalement urbain, qui modifie profondément les usages, par exemple en matière de mobilité, et aux conditions changeantes, notamment en raison du réchauffement climatique.
Une ville inclusive pour qui ?
Mais elles doivent aussi et surtout faire une place à l’ensemble des profils, très divers, qui la composent, c’est-à-dire devenir des villes inclusives. La ville inclusive se définit par la volonté d’accueillir toutes les personnes sur son territoire, y compris les publics fragilisés ou minoritaires. Cela signifie permettre à tous de pouvoir profiter des espaces, infrastructures et services, quels que soient son âge, son genre, son niveau de vie ou ses capacités physiques et cognitives.
Pour beaucoup de villes, c’est encore loin d’être le cas aujourd’hui. Sur la question du genre, par exemple, Yves Raibaud décrit dans son ouvrage « La ville faite par et pour les hommes » comment l’aménagement urbain peut contribuer à renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes. Ainsi, la largeur d’un trottoir, l’éclairage, l’offre de transports publics ne sont pas vécus de la même manière selon les sexes.
L’inclusivité, bien sûr, ne s’arrête pas aux questions de genre. Comment faire pour que les personnes à mobilité réduite puissent elles-aussi se déplacer ? Comment garantir que les personnes âgées profitent autant de l’espace public que les plus jeunes ? A-t-on réfléchi à la façon dont les habitants qui ne savent pas lire peuvent s’orienter ? Est-ce que les plus pauvres se sentent autant chez eux que les catégories plus aisées ?
Décentrer la perspective
On ne peut en réalité répondre à ces questions qu’en les posant aux principaux concernés. Pour rendre la ville plus inclusive, il faut d’abord penser les projets pour tous en amont, en repartant de l’humain. Cela implique de prendre en compte les besoins réels de l’ensemble des utilisateurs et, surtout, de décentrer la perspective de ceux qui pensent la ville, grâce à des diagnostics complets des usages actuels et futurs, des manques, des principaux points de friction. Il faut pour cela passer par une démarche participative, pour faire émerger le ressenti de la ville telle qu’elle est réellement vécue. Des marches exploratoires, qui rassemblent citoyens et professionnels, ont notamment été organisées dans un certain nombre de villes pour que les profils concernés puissent identifier et faire remonter les problèmes.
Il faut, surtout, une réelle volonté politique pour faire changer les choses. Il existe déjà de nombreux exemples à l’étranger : ainsi à Vienne (Autriche), la municipalité a instauré dès 2005 un budget genré, qui oblige à démontrer que ses services bénéficient autant aux hommes qu’aux femmes. A Séoul et à Singapour, des efforts ont été entrepris pour faciliter le quotidien des seniors et les inciter à sortir.
En France aussi, des initiatives ont été entreprises : à Paris, les « rues aux écoles » ont permis de donner plus de place aux enfants devant leur école et de faire en sorte qu’ils soient plus en sécurité. Des initiatives, comme le programme « Le Carillon », permettent également aux personnes sans-abri ou en grande difficulté de pouvoir se rendre dans les commerces participants pour bénéficier de services essentiels (boire un verre d’eau, accéder à des toilettes ou bien encore recharger leur téléphone portable).