La construction fait face aujourd’hui à de forts enjeux et se doit de répondre à plusieurs problématiques : diminuer les consommations de ressources en matériaux, réduire les déchets générés par les constructions, bifurquer vers des modes constructifs alignés avec la neutralité carbone ou encore favoriser l’économie circulaire, locale et solidaire. Longtemps oubliée voire dénigrée, la terre crue utilisée en construction se présente comme une réelle opportunité pour relever ces défis.
L’argile est un matériau extrêmement répandu. A l’heure actuelle, on estime à 30 % la proportion de l’humanité vivant dans des habitats en terre crue. Cette construction bénéficie donc d’un éventail de techniques traditionnelles. Au-delà de sa dimension vernaculaire, ce matériau fait l’objet d’un regain d’intérêt conduisant au développement de nouvelles approches et solutions constructives adaptées aux standards de la construction contemporaine. Ainsi, la filière terre crue connaît actuellement un important développement en France.
Dans ce contexte, plusieurs fabricants ont développé des produits en terre crue (Durabric, Argitech, Bricabloc, Brique Technic Concept). Ce développement est porté par des laboratoires (Laboratoire SIAME à Pau, LDMC à Toulouse, 3SR à Grenoble), des start-up (Matter’Up en Aquitaine), ainsi que par les grands fournisseurs du BTP (Lafarge Holcim, Saint Gobain). Réaliser un projet en terre crue consiste donc à mettre en relation un territoire et un réseau de compétences innovantes et en plein essor.
Le champion du bas carbone
Pourquoi la terre crue séduit autant ? Parce que ce matériau a tout bon sur le plan écologique. Il est conforme à l'atteinte des objectifs de la construction « bas carbone » : un faible impact environnemental et un confort hygrothermique et acoustique.
En pratique, la terre crue est fabriquée à partir des terres issues des travaux de décaissement, éventuellement enrichies de terres issues d’autres chantiers. Il s’agit donc d’une ressource abondante et locale par définition, qui présente l’avantage d’une fin de vie extrêmement valorisante. Il peut être réemployé dans d’autres projets de construction, ou rendu au site sans opération de retraitement. En l’absence d’une utilisation dans le projet, les terres issues du site constituent actuellement un déchet et nécessitent la mise en place de procédures adéquates et coûteuses de transport et d’entreposage. Travailler avec la terre crue, c’est donc diminuer la production de déchets d’un projet.
Mais la question qui se pose aujourd’hui est la suivante : comment accompagner une filière émergente productrice de solutions innovantes afin de généraliser l’emploi d’un matériau à haute valeur environnementale ?
Face à l’importance croissante de la terre crue dans les constructions, le Ministère de la Transition Écologique a lancé le Projet National Terre Crue, regroupant les filières terre pour capitaliser et partager les connaissances scientifiques et techniques de l’ensemble des acteurs. Le but de ce projet national est de faire de la terre crue un important contributeur à la transition écologique du secteur du bâtiment et des travaux publics en France en levant les principaux freins (culturels, socio-économiques, techniques, assurantiels ou réglementaires) à son redéploiement, à grande échelle.
Les avantages constructifs
Réutilisable à l’infini et pouvant être issu des terres d’excavation, ce matériau peut être mis en œuvre de nombreuses façons. Le délicat équilibre entre les grains, l’air occlus et l’eau permet de façonner des éléments de construction aux techniques très diverses : de la bauge au pisé, de l’adobe à la brique de terre comprimée, du torchis au mélange terre-fibre ou encore l’utilisation en enduit et mortier.
L’apport de la terre crue au comportement bioclimatique d’un bâtiment n’est pas en reste, avec des atouts indéniables en termes d’inertie thermique et de régulation hygrothermique des locaux, notamment via des phénomènes de transfert de vapeur au sein des parois.
De plus, il s’agit d’une construction pérenne. Notre territoire compte actuellement 1 million de logements et 15 % du patrimoine bâti en terre crue, tous âgés pour la plupart d’au moins un siècle !
Faire évoluer les techniques
Si les enjeux techniques restent encore très présents, avec un contexte normatif et réglementaire encore mince, des connaissances scientifiques à développer et un marché pour le moment très restreint, le renouveau de ce matériau s’accompagne d’évolutions indéniables dans les savoir-faire, comme la mécanisation des phases de malaxage ou de projection, ou encore la préfabrication d’ouvrages en usine pour maîtriser les temps de séchage.
Au terme d’une analyse des solutions actuelles, une des solutions propices à un large emploi dans la construction contemporaine est la brique de terre comprimée. Les briques de terre crue sont fabriquées à l’aide de procédés simples à mettre en œuvre (pressage, extrusion). Le procédé de transformation de la terre en éléments de maçonnerie est généralement effectué sur site, ce qui diminue d’autant l’impact en énergie grise de ce matériau. Les briques de terre crue sont mises en œuvre avec un mortier de terre crue.
La terre crue est donc un matériau résolument low-tech. Sa mise en œuvre en réponse aux enjeux d’un projet contemporain dans le contexte réglementaire français et européen est possible par une démarche de conception et d’expérimentation intégrant les dernières avancées logicielles et scientifiques en terme de calcul de structure. A l’image du béton lors de sa découverte, la terre crue appelle une exploration formelle ambitieuse pour donner à ce matériau une place de choix dans la construction respectueuse de l’environnement. Techniquement, la mise en œuvre de la terre nécessite à la fois la maîtrise de la compression dans les coques et la garantie du fonctionnement du dispositif en compression seulement. Cette exigence technique est permise par l’emploi d’un algorithme de recherche de forme (form-finding). L’approche en form-finding permet de garantir la meilleure répartition de la matière terre crue dans les voûtes.
Des applications concrètes
Chez Egis, nous travaillons actuellement sur différents projets et accompagnons nos clients dans la mise en œuvre ce matériau ancestral, qui retrouve aujourd’hui toute sa place en construction comme en rénovation.
Pour le foyer départemental de l’enfance à Strasbourg, par exemple, les façades sont à ossature bois, le remplissage en paille, les enduits en terre et qui intègre des refends en terre crue, avec la technique du pisé.
Pour les bureaux du BRGM à Orléans, réalisés également grâce au pisé, on retrouve les murs circulations en structure poteau-poutre en béton avec un remplissage en terre crue. Quant au collège Henri IV à Poitiers, les murs sont prévus enduits de terre crue.
Enfin, déjà en 2019 et dans le cadre d’un dialogue compétitif au sein d’un groupement formé par l’agence d’architecte Tangram, Egis et Nobatek pour le Pôle d’excellence du biomimétisme marin de Biarritz, Egis a proposé et étudié la possibilité de concevoir des voûtes en maçonnerie de terre crue. La voûte dite sarrasine, catalane ou nubienne est une technique ancienne qui a été remise au goût du jour dans plusieurs projets récents construits principalement sur le continent africain. Il s’agit de réalisations associant des études structurelles avancées et le savoir-faire de maçons permettant l’édification de formes généreuses avec relativement peu de moyens constructifs et techniques. En effet, la construction en voûte s’effectue par un assemblage des briques qui ne nécessite, ni banche, ni étaiement, seules sont matérialisées les courbures principales des coques. L’enjeu principal du concours a été de démontrer à la maîtrise d’ouvrage la faisabilité d’un tel procédé, au niveau technique, mais aussi en matière de planning, d’essais (ATEX), et de réalisation à partir de matériaux locaux.