Plus tôt dans l’année, Hervé Drévillon, Directeur de projet chez Egis, a pris la parole lors de la conférence Amsterdam Drone Week pour évoquer les défis liés à l’intégration de la mobilité aérienne avancée dans les villes. Voici ses réflexions sur cette question d’actualité.
Il n’y a pas deux villes qui se ressemblent. Et pourtant, elles partagent toutes les mêmes besoins de haut niveau, à savoir être plus durable et améliorer le bien-être des habitants ; tirer parti des avantages issus de la transformation numérique et des nouvelles technologies ; et créer de nouvelles activités et des opportunités d’emploi pour les citoyens. La mobilité aérienne avancée (AAM) peut aider les villes à atteindre ces objectifs, contribuer à accroître l’efficacité des services médicaux, permettre de contourner les embouteillages, transformer les flux logistiques et offrir des transports fluides et durables. Mais l’AAM doit s’intégrer aux cadres de mobilité existants et attirer des compétences issues des secteurs de l’aviation, de l’urbanisme et de la mobilité. Des équipes spécialisées en schémas directeurs et pluridisciplinaires sont essentielles pour atteindre cet objectif, et nous allons voir pourquoi dans la suite de cet article.
La réalité des villes intelligentes
La mobilité urbaine change rapidement à mesure que d’innombrables projets, concepts et innovations accélèrent la transition vers des villes intelligentes. Aujourd’hui, les applications et services de mobilité sont partout : stationnement, taxis, trains, navigation, émissions et paiements. Ils reposent tous sur la transformation numérique, l’internet des objets (IoT), l’intelligence artificielle (IA) et la volonté d’adopter de nouvelles technologies. Les systèmes de mobilité urbaine actuels font déjà correspondre énergie, infrastructures, véhicules et données (systèmes) pour permettre une circulation efficace des personnes et des biens. Et nous, citoyens, apprenons tous de nouvelles façons de planifier, d’exploiter et d’utiliser les systèmes de transport urbain.
La promesse de l’AAM
L’AAM pourrait aider les villes à réduire leurs émissions de carbone et améliorer la qualité de l’air et la qualité de vie des citoyens en élargissant l’accès à l’espace aérien urbain et aux services d’urgence grâce à des véhicules bas carbone, de manière à soulager les réseaux existants. Elle pourrait combler les manques en matière de connectivité et offrir des options de mobilité à la demande aux citoyens et aux entreprises. Mais l’AAM ajoute des niveaux de complexité à l’aménagement urbain et aux systèmes de mobilité, car le transport aérien s’accompagne d’un éventail plus large de risques et de réglementations.
L’AAM désigne des systèmes de transport aérien qui déplacent des personnes et des biens entre des lieux qui étaient auparavant non (ou peu) desservis par l’aviation (locaux, régionaux, intrarégionaux et urbains) au moyen de nouveaux aéronefs révolutionnaires comme les drones et les véhicules électriques à décollage et atterrissage verticaux (eVTOL). L’AAM correspond bien à l’idée que l’on se fait des villes intelligentes, mais comment les urbanistes peuvent-ils l’intégrer dans le maillage existant ? Ils devront prendre en compte cinq dimensions différentes : l’espace aérien, la planification de la mobilité, la gestion de la mobilité, les informations/systèmes et les schémas directeurs.
Cinq dimensions d’intégration
Espace aérien
L’accès à l’espace aérien des villes densément peuplées représente un nouveau défi pour les urbanistes. Il est généralement limité pour des raisons environnementales et de sécurité, et est étroitement surveillé pour des raisons de sûreté. La solution serait probablement de créer des couloirs de mobilité aérienne et de sélectionner soigneusement l’emplacement des vertiports. La pollution sonore et visuelle sera un aspect essentiel à prendre en compte pour garantir l’adhésion du grand public, même au regard des potentiels bénéfices de ces solutions. Qui assurera la gestion de l’espace aérien urbain ? Au moins quatre organisations se détachent aujourd’hui : les prestataires de services de navigation aérienne (ANSP), qui gèrent la navigation aérienne avec équipage ; les prestataires de services U-space, qui gèrent la navigation aérienne sans équipage à bord ; les autorités locales de transport, qui gèrent la mobilité urbaine et/ou une nouvelle catégorie de gestionnaire de transport combiné. La question de savoir qui assurera la gestion de l’espace aérien urbain reste ouverte.
Planification de la mobilité
L’AAM doit être intégrée à la planification et à l’élaboration des politiques au niveau du pouvoir local, régional et, de fait, national. Il est nécessaire de sensibiliser davantage les différents interlocuteurs, parfois peu au fait des questions de planification aérienne, à l’AAM et à ses impacts potentiels. Bien que des orientations aient été publiées au niveau européen et aux États-Unis, pour l’heure, les autorités locales manquent par exemple de lignes directrices spécifiques pour évaluer les demandes de planification de vertiports. Aux États-Unis, l’initiative pour la mobilité aérienne des communautés (CAMI) collabore avec les autorités locales à la création de normes d’urbanisme pour orienter l’intégration de l’AAM dans les environnements urbains.
Gestion de la mobilité
Dans les villes densément peuplées, la concurrence s’accroît pour accéder à des emplacements comme les parkings, stations de taxis, arrêts de bus, zones de livraison, pistes cyclables, etc. À ce pêle-mêle, les gestionnaires de la mobilité doivent maintenant ajouter des aires de décollage et d’atterrissage, à savoir des vertiports. Comment sera géré l’accès ? Et qui s’occupera de l’espace entre les bâtiments et la route, à savoir les trottoirs et leurs bordures ? L’AAM ajoute un niveau supplémentaire de complexité, soulignant ainsi la nécessité d’identifier les actifs en jeu et de définir des règles d’utilisation et de gouvernance partagées. Les utilisateurs devront recevoir des informations/données via des plateformes et des interfaces de programmation d’application (API).
Informations et systèmes
Aujourd’hui, les applications de mobilité sont facilitées par des plateformes de données ouvertes publiques (comme le fait le gouvernement français) et privées (par exemple Google) qui fournissent des API d’accès. Les applications de transport (par exemple Google Maps, Citymapper, Moovit) peuvent ensuite proposer des services de mobilité aux utilisateurs finaux. L’AAM peut-elle s’intégrer à ce monde ouvert ? Les données d’AAM ne concernent pas que la gestion du trafic ; elles incluent également les liaisons avec d’autres moyens de transport, les frais de déplacement, les délais d’attente aux vertiports, etc. L’AAM devra donc être développée ou intégrée aux applications de transport destinées aux habitants et/ou à des tiers, et les systèmes de gestion du trafic devront être intégrés aux systèmes de transport intelligent (ITS) des autorités de transport. Un outil pourrait s’avérer utile, à savoir le MDS (Mobility Data Specification), un outil numérique et une démarche de standardisation qui permet aux villes de mieux gérer les transports en normalisant la communication et le partage de données entre les villes et les prestataires privés de services de mobilité. Pou réaliser tout cela, il sera essentiel de définir une gouvernance et une architecture des données.
Schéma directeur
L’intégration de l’AAM dans les villes est une question complexe, car la mobilité urbaine est complexe. L’industrie aéronautique ne peut pas travailler sur l’AAM de manière isolée. C’est pourquoi il est capital de comprendre les concepts d’urbanisme et de mobilité. Les concepts de conception axée sur les flux de transport, de gestion de l’espace public et de mobilité en tant que service (MaaS) font partie intégrante de la solution d’intégration, et la mise en œuvre d’un plan directeur de la mobilité est un facteur clé de réussite. Cela implique d’adopter une approche globale et pluridisciplinaire, d’établir un cadre commun pour tous les modes de transport, d’identifier les parties prenantes et d’organiser la gouvernance.
La voie à suivre
L’intégration de l’AAM dans les villes intelligentes est synonyme de transformation majeure pour le transport et le développement urbain. En adoptant des technologies de pointe et en encourageant la collaboration, les villes peuvent tirer parti de l’AAM pour améliorer la mobilité, la connectivité et la qualité de vie globale de leurs habitants. Des villes nouvelles comme NEOM en Arabie Saoudite, Dubaï dans les E.A.U. et Nusantara, capitale de l’Indonésie, ont toutes intégré la mobilité aérienne à leur schéma directeur de la mobilité. Voilà la voie à suivre : une approche descendante qui s’attaque à la question de la complexité et qui fait dialoguer efficacement aviation, urbanisme et mobilité.