En quoi selon toi une ville apaisée, ça passe par l’eau ?
Dans une piscine, on est coupé de tout ce qui fait notre quotidien, à commencer par le téléphone qui reste dans le casier. Parfois, on ne capte même pas ! C’est quelque chose de rare, donc de précieux. C’est ça qui crée des échanges dans les espaces. On est aussi dévêtu. En fait on devient quelqu’un d’autre, sorte de nageur ou nageuse anonyme. C’est ce qui explique pourquoi d’ailleurs j’ai voulu garder l’anonymat sur mon compte Instagram. C’est le propre de la piscine, tout à coup, on devient une couleur de bonnet, cela dessine une nouvelle identité. Souvent, en me rhabillant, je ne parviens pas à faire le lien entre la nageuse et la personne. C’est comme si on perdait sa peau, son déguisement social. On peut décider d’entrer ou non en interaction avec les autres. Il faut apprendre à partager l’eau avec des personnes qui nous sont inconnues, c’est quelque chose qui n’est pas si courant. Les maîtres-nageurs interviennent peu, et il revient aux baigneurs d’observer ce qui se passe autour d’eux, d’adapter leur comportement dans les lignes de nage, comme si on se retrouvait dans la dimension la plus rudimentaire de la société. Ca remet les compteurs à zéro. Partager cet espace de nage exige beaucoup d’attention, car on doit faire très attention aux autres. En ce qui me concerne, je ne recherche pas une piscine vide à tout prix. Ça ne me fait plus rêver que cela. Certes, j’apprécie quand il n’y a pas de monde à la piscine, c’est évidemment très confortable pour nager, mais j’aime partager cela avec d’autres.
Mais alors, cela ne revient-il pas à dire que la piscine serait une forme de sanctuarisation de la ville apaisée ? Ne tomberait-on pas dans l’écueil d’une ville certes apaisée mais idéalisée ?
Non, je ne crois pas. Ce que j’aime avec la piscine, c’est que précisément ce soit la piscine. Ma piscine préférée se trouve à Belleville, c’est la piscine Alfred Nakache, dans un quartier très vivant que j’apprécie beaucoup ; et lorsque j’ai besoin de m’en extraire, de m’isoler, je vais à la piscine. Je dirais plutôt que j’assume la sanctuarisation de la piscine. L’expérience de la piscine est quelque chose de très subjectif. Certaines personnes vont sortir agacées d’une séance de nage parce qu’elles se sont disputées avec un voisin de couloir, alors que moi je vais m’en amuser. La réussite de cette expérience tient à ce que l’on souhaite en retirer. Je trouve que cela a d’autant plus de valeur et de saveur.
Beaucoup de gens sont réfractaires à la piscine, parce qu’elles sont trop bruyantes ou sales. Tu es finalement assez iconoclaste dans ton amour pour la piscine. Selon, pourquoi les piscines ne sont-elles pas tant que cela un lieu d’apaisement aux yeux de certains ?
Je pense que c’est un traumatisme de l’enfance (rires) ! Tout le monde n’est pas à l’aise avec l’eau ni avec le fait de s’exposer à moitié nu. Nombreux sont mes abonnés qui m’ont réellement parlé de ces expériences traumatisantes avec des mises à l’eau un peu violentes, ou qui évoquent une hygiène défaillante. Je ne cherche pas à évangéliser, chacun est libre de trouver l’espace de bien-être qui lui convient !
Et pourtant, avec ton compte Instagram, n’as-tu pas envie de guérir les âmes à ta manière, de transmettre ta passion ?
J’avais davantage envie de partager cette passion plutôt que de la transmettre. Étant très attachée à certaines piscines que je fréquente, je me suis dit que je ne devais pas être la seule à ressentir cet attachement. Dans la mesure où il s’agit d’un espace où je me sens bien, ce bien-être finit forcément par déteindre sur le lieu. C’est comme ça que j’en suis venue à raconter l’histoire des piscines sur mon compte Instagram et à m’intéresser à leur architecture. Si je m’y sens bien, c’est que ce bâtiment a été mûrement pensé et réfléchi. Autre point, les piscines agissent comme des réminiscences : les gens sont en général très attachés à leur piscine, y ont des souvenirs très clairs. D’aucuns y ont même appris à nager. Attention, mon message n’est pas de dire aux gens « tu devrais aller, nager ! ».
N'y a-t-il pas quelque chose d’antinomique entre d’un côté la piscine, symbole d’une ville apaisée, et de l’autre, la recherche de la performance chronométrée ?
Je ne me chronomètre pas, ce qui compte pour moi, c’est le plaisir du bain. En revanche, cela me fait plaisir de voir des gens se chronométrer. Chacun entretient le rapport qu’il veut à la piscine. Qui suis-je pour dire qui serait un bon nageur ou pas ? Que quelqu’un fasse du sur place ou au contraire fend les eaux du bassin, qu’importe : il faut accepter la diversité des baigneurs et des baigneuses. Mon ambition est de raconter tout cet éventail sociologique dans mon compte Instagram.
La piscine que tu décris, est-elle si apaisée que cela sur la plan humain ?
Non, il y a aussi de grandes tensions, en effet. La piscine révèle avant tout des personnalités. Si quelqu’un se met à nager un papillon de frimeur en plein milieu du couloir, je vais surtout rechercher un regard complice avec lequel je pourrais rire de la situation. Je ne cherche pas le conflit, j’y vais pour trouver des endorphines !
Quelle sensation d’apaisement la piscine te procure-t-elle exactement ?
En tant qu’éditrice, je sais que la nage me permet de débloquer certaines des difficultés textuelles auxquelles je suis parfois confrontée. Cela n’est possible qu’avec la brasse. En crawl, il faut se concentrer sur les mouvements. Mon cerveau se met en pilote automatique, se met à rédiger des phrases tout seul.