L’année 2022 aura été marquée par une grave crise énergétique faisant suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, causant une hausse historique des coûts de l’énergie et une inflation galopante. Cette situation a appelé une réponse de la part des dirigeants européens qui ont régulièrement eu recours à une baisse des taxes sur les hydrocarbures afin de soulager l’effort financier des ménages. Certains pays ont toutefois décidé de mettre en place des dispositifs incitatifs visant à faire baisser les coûts des transports collectifs au moins de manière temporaire. Le billet à 9 euros par mois l’été dernier fut l’un de ces dispositifs qui a connu un succès colossal avec 52 millions de tickets vendus, ce qui aurait fait économiser 1,8 million de tonnes de CO2 durant ce laps de temps. Ces dispositifs répondent donc au défi inflationniste et encouragent, de manière parallèle, l’usage des transports en commun.
Des initiatives pour le climat
L’idée de disposer de forfaits illimités, voire même de la gratuité des transports, n’est pas nouvelle et a vu le jour en 2020 au Luxembourg où la gratuité sur tous les réseaux du pays, urbains et non urbains, est effective à partir du 1er mars de cette même année. Ce passage à la gratuité a notamment été motivé par la difficulté pour les voitures d’accéder à la capitale, mais aussi pour d’évidentes raisons écologiques et sociales. Cette gratuité s’accompagne en outre d’un investissement majeur dans les transports publics, chiffré à 4,5 milliards d'euros sur huit ans, destiné au développement du rail et du tramway. Ce passage à la gratuité a, par ailleurs, rapporté l’équivalent d’une centaine d’euros par an et par habitant en moyenne.
Cette mesure prise avant la crise énergétique a ainsi pu servir d’exemple au “Ticket Climat” proposé par l’Autriche depuis fin 2021. Cette initiative très populaire permet de prendre le train de manière illimitée sur l’ensemble du territoire pour l’équivalent de 3 euros par jour, soit 1095 euros par an. Ce “Ticket Climat” a été introduit dans une stratégie globale visant la neutralité carbone du pays dès 2040 et qui inclut un investissement de plus de 18,2 milliards d’euros en 5 ans dans le réseau de chemin de fer national. Une somme considérable pour un pays de moins de 9 millions d’habitants ; somme à laquelle vient s’ajouter le manque à gagner de ces tickets bons marchés estimés à 240 millions d’euros la première année et à 150 par année de reconduction. Cette politique au coût élevé vise notamment une baisse de 16 % du trafic automobile.
Ce forfait annuel existe aussi historiquement en Suisse, où « l’abonnement général » permet d’utiliser l’ensemble des transports publics moyennant un coût annuel de 3700 euros en seconde classe et de 6100 euros en première.
De même, ces initiatives existent localement en France. Une stratégie de gratuité partielle, voire totale, des réseaux de transports, a cours dans de petites communautés de communes mais aussi — et de manière partielle depuis 2021 — à Nantes, qui l’a adoptée les week-ends, ou à Montpellier qui est en train de la généraliser par étape à l’ensemble de son agglomération (500 000 habitants). Ces dispositions s’inscrivent explicitement dans une stratégie écologique, ce que l’Espagne reproduit avec la gratuité des transports locaux et régionaux mis en place pour répondre à la crise énergétique due au conflit ukrainien. Le gouvernement justifie notamment la gratuité en ce qu’elle “contribue à l’autonomie énergétique de l’Espagne et de l’Europe” et à faire baisser la consommation de pétrole jusqu’à 118 millions de litres.
Des dispositifs qui promeuvent les transports tout en luttant contre l’inflation
En Espagne, la gratuité pour les transports nationaux de courtes et moyennes distances, ainsi que les réductions pour les transports du quotidiens (métros, tramway…), avaient avant tout comme objectif de faire face à une inflation galopante, proche des 10 %. La mesure avait aussi vocation à réduire la circulation automobile et par conséquent, les émissions de CO2. Ce dispositif a connu un large succès avec 2,5 millions d’abonnements gratuits ou avec des réductions émises et a été renouvelé pour toute l’année 2023. La fréquentation des trains de banlieue a ainsi augmenté de 30,5 % en moyenne dans les grandes villes espagnoles au dernier trimestre, et l’augmentation a été encore plus forte pour les trains régionaux de moyenne distance (60 % en moyenne par rapport à 2021).
L’Allemagne a procédé à des dispositifs similaires, notamment celui du “Ticket Climat” autrichien, afin de lutter contre l’inflation en proposant des tickets à 9 euros par mois pendant les trois mois d’été sur l’ensemble des transports régionaux et urbains. Ce dispositif extrêmement populaire, vendu à plus de 50 millions d'exemplaires, avait comme principaux objectifs de lutter contre la dépendance aux hydrocarbures russes, mais aussi de contenir l’inflation particulièrement élevée. Le souhait des autorités allemandes, comme de l’association des entreprises de transport, était en outre de conserver une partie de ces clients, tout en rendant les transports plus attrayants sur le long terme. Ce ticket a particulièrement bien fonctionné et a participé à une réduction des émissions de CO2 de 1,8 millions de tonnes. Un abonnement de 49 euros par mois, permettant d’utiliser de manière illimitée les transports en commun locaux et régionaux, a depuis remplacé ce ticket à 9 euros. Cet abonnement est par ailleurs un accord délicat obtenu entre le gouvernement fédéral et les Länder qui financent, à part égale, le manque à gagner estimé à 2,5 milliards d’euros.
Des dispositifs aux avantages sociaux indéniables
Décidé dans un contexte de lutte contre l’inflation (+7,9 % en un an) et de changement climatique, le forfait unique à 49 euros par mois a été instauré par Berlin en parallèle d’une baisse de la taxe sur les carburants dans l’objectif de soutenir le pouvoir d’achat des Allemands. Ces aides qui facilitent l’accès au transport ont, de surcroît, l’avantage de profiter largement aux publics les moins favorisés qui sont 53 % à ne pas posséder de voiture contre 8 % seulement pour les plus riches. Ces économies peuvent représenter jusqu’à plusieurs dizaines d’euros d’économie par mois pour les voyageurs pendulaires utilisant les transports quotidiennement. La fréquentation des trains sur les trajets locaux et régionaux a ainsi augmenté de 42 % par rapport à la période pré-covid selon une étude menée par l'institut fédéral de la statistique (Destasis).
Selon le porte-parole des chemins de fers fédéraux autrichiens, les abonnements “Ticket Climat” auraient permis une augmentation de fréquentation de 15 % par rapport à la même période pré-Covid, ce qui montre un effet certain de ce dispositif. De la même manière en Espagne, l’augmentation de la fréquentation a été plus que substantielle sur les lignes de banlieue ou de moyennes distances ; la gratuité pouvant, contrairement aux tarifications sociales, générer un effet psychologique chez les usagers, selon l’Observatoire des Transports Gratuits. La fréquentation des bus dunkerquois a, par exemple, doublé depuis l’entrée en service de la gratuité.
Une politique pas toujours simple à mettre en place et qui présente aussi ses inconvénients
Si certains acteurs tels que Greenpeace saluent ces efforts faits sur les prix et qui paraissaient impossibles auparavant, le manque à gagner a fait l’objet d'âpres négociations en Allemagne entre le gouvernement fédéral et les Länder. La mise en œuvre du « ticket climat » en Autriche a également fait l’objet d’intenses négociations entre les opérateurs de transports, mais aussi entre les différents Länder du pays.
Également, l’afflux soudain de centaines de milliers d’utilisateurs peut engendrer une dégradation de service, ce qui a notamment été observé en Allemagne lors des week-ends. Des usagers disposant de vélos ne pouvaient pas monter à bord, faute de places disponibles. La ponctualité des trains, qui est déjà notoirement mauvaise outre-Rhin, ne peut en ressortir que plus dégradée…
D’une manière générale et à la différence de l’Autriche, se pose la question du financement des investissements dans les infrastructures nécessaires à leur maintien, comme à leur développement. L’Allemagne, comme la France, accuse un retard d’investissement qui entraîne un vieillissement et une moindre fiabilité des infrastructures, alors même que l’ambition est d’augmenter sensiblement l’usage du train d’ici à 2050. L’Allemagne doit ainsi investir des dizaines de milliards pour améliorer et entretenir son réseau dans les prochaines années, tout comme la France, ce qui pose la question de la viabilité de ces dispositifs tarifaires très avantageux.
Se pose également la question des zones peu desservies par les transports publics qui possèdent elles aussi des besoins de déplacement soumis au même phénomène inflationniste.
Des dispositifs appelés à perdurer ?
La multiplication de ces dispositifs, avant même la dernière crise énergétique, — que ce soit dans des objectifs de politiques sociales, de désengorgement du trafic routier ou encore pour des raisons écologiques — a été confirmée par les différentes réponses apportées par les gouvernements européens depuis 2022. La baisse des tarifs, voire la gratuité des transports locaux et/ou régionaux, a ainsi représenté une solution efficace de soutien au pouvoir d’achat des ménages, comme une solution écologique vraisemblablement effective. Pour autant, la faisabilité ces dispositifs, tout comme leur durabilité, est à interroger du fait du sous-investissement historique dans le réseau ferré qui peine à absorber la demande actuelle. Le cas autrichien prouve toutefois qu’une stratégie de long terme et des efforts financiers importants sont compatibles.