La multiplication des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) et la perspective de la mise en place d’un contrôle automatisé sanctionnant les contrevenants mettent au défi les pouvoirs publics de développer et rendre accessibles les alternatives aux véhicules polluants. C’est dans ce contexte qu’Egis accompagne plusieurs collectivités locales pour la conception de leurs ZFE-m et la Métropole du Grand Paris pour faire évoluer ses aides à destination des particuliers. Ces retours d’expérience ont inspiré à nos équipes plusieurs constats et recommandations.
Les ZFE en quête d’acceptabilité
Si l’intérêt des ZFE-m pour améliorer la qualité de l’air dans les métropoles ne fait guère de doutes au regard des 48 000 morts par an causés par les particules fines[1], leurs modalités de mise en œuvre suscitent des débats nourris. Au cœur de ces discussions, un mot : l’acceptabilité. Pour que les ZFE-m soient acceptables, il faut bien sûr qu’elles soient bien conçues, avec un périmètre cohérent conjuguant efficience et équité territoriale, des dérogations ciblées pour les usagers et les usages dépendants de l’automobile, une offre de mobilités alternatives massifiée, une communication valorisant ses bénéfices là où ces trois lettres restent essentiellement associées à la contrainte et enfin, des aides aux particuliers et aux professionnels.
Elles sont essentielles pour accélérer la transition du parc de véhicules et prévenir « l’assignation à résidence » de ceux pour qui ni les mobilités alternatives ni l’achat d’un véhicule propre ne sont accessibles. Or, 72 % du premier décile de la population française possède un véhicule classé Crit’Air 3 ou plus, contre moins d’un tiers des 10 % les plus riches[2]. Plusieurs questions découlent de ce constat : comment massifier les aides aux publics les plus dans le besoin pour éviter de grossir les rangs des 13,3 millions de Français en situation de précarité mobilité[3] ? Comment mieux cibler ces aides pour les rendre soutenables sur la durée pour les pouvoirs publics ? Enfin, tout en admettant que le véhicule personnel restera nécessaire pour une partie de la population, comment intégrer l’enjeu climatique pour éviter un « effet d’aubaine » en encourageant massivement l’achat de véhicules qui, même électriques, émettent trop de CO2 et de particules fines sur leur cycle de vie[4] ? Compte tenu de toutes les externalités négatives, la réduction du parc d’automobiles reste la seule ambition possible et désirable pour une planète et des agglomérations vivables.
C’est pour répondre à ces questions que la Métropole du Grand Paris a confié à Egis, fin 2022, la réalisation d’une étude pour la refonte des aides aux particuliers dans le cadre de la ZFE-m. Cet article s’inspire des nombreux échanges et réflexions que cette mission a suscités, quoique les opinions exprimées ici et pistes suggérées n’engagent qu’Egis.
Les limites des dispositifs d’aides actuels
Les aides aux particuliers dans le cadre des ZFE-m évoluent régulièrement, mais elles sont articulées autour de deux systèmes principaux : les aides de l’Etat (prime à la conversion, bonus écologique, bonus covoiturage…) et les aides définies par les collectivités locales au sein des ZFE-m, entourant ou jouxtant celles-ci (métropoles, villes, régions).
Un premier problème évident est le manque de lisibilité des dispositifs, entravant comme souvent leur recours par ceux qui en ont le plus besoin : décrypter les critères (changeants) d’éligibilité à la prime à la conversion est une tâche ardue et il faut ensuite s’atteler au dossier de demande des aides locales, à l’exception notable de la Métropole du Grand Paris, seule à ce jour à avoir intégré un « Guichet Unique » avec l’ASP[5].
Les montants de ces aides peuvent paraître dérisoires au vu des prix d’achat des véhicules électriques (à partir de 35 100 € pour une Zoé en 2023), particulièrement sujets à l’inflation, mais en y regardant de plus près, les efforts de l’Etat en 2023, conjugués aux niveaux élevés de certaines aides locales, permettent (pour les ménages les plus modestes) des restes à charges proches de zéro s’ils optent pour un véhicule électrique d’occasion ou d’entrée de gamme. Cela ne règle toutefois pas la question : l’offre électrique d’occasion reste largement insuffisante et le reste à charge ne peut être le seul critère d’analyse. En effet, c’est bien souvent la nécessité d’avancer la somme qui constitue le point bloquant. Or, trop peu de concessionnaires ont signé la convention avec l’ASP leur permettant d’avancer le montant pour l’acheteur, et les achats d’occasion entre particuliers (souvent réalisés sur Leboncoin) échappent à cette possibilité.
L’expérimentation du prêt à taux zéro véhicule propre pour 2 ans à partir de 2023, s’ajoutant au moins connu microcrédit véhicule propre mis en place en 2018, est censée permettre le lissage des dépenses sans taux d’intérêt. Pourtant, sans garantie de l’Etat à ce jour et limité aux ménages des cinq premiers déciles (par définition peu solvables), il risque d’être perçu comme trop risqué par les établissements prêteurs.
Quid des aides à la démotorisation ? La prime à la conversion et le bonus vélo, instaurés en 2022, vont dans le bon sens. On peut simplement regretter que des montants maximaux presque exagérément élevés (jusqu’à 4 000 € pour un VAE) soient conjugués à des plafonds de part du prix d’achat trop bas (40 %), ceci ne favorisant pas les achats sobres au reste à charge limité. Le bonus covoiturage de 100 € pour les nouveaux conducteurs est bienvenu mais doit être complémentaire d’une politique volontariste des AOM, ces dernières ne proposant pas toujours des aides financières à ceux qui troquent leur vieille voiture pour les transports publics.
Cela étant dit, pour des automobilistes dont le lieu de vie et les besoins sont théoriquement compatibles avec le report modal, le problème est loin d’être une seule affaire d’argent : les freins informationnels et psychosociaux sont centraux et largement documentés. Changer les représentations de la voiture individuelle, sensibiliser – mais aussi former et initier – à l’usage des mobilités alternatives, s’y retrouver dans le maelstrom des subventions voire aider à la souscription des demandes… tels sont les enjeux d’un accompagnement qui doit dépasser le seul cadre financier pour être efficace.
Quelques pistes pour des zones à plus forte acceptabilité
Renforcer et rendre plus cohérent l’accompagnement des publics nécessite plusieurs actions coordonnées à plusieurs niveaux : l’Etat en premier lieu, les collectivités locales et AOM, mais également les écosystèmes financiers et automobiles. En parallèle d’un investissement redoublé dans les infrastructures et les services de transport collectif, la recharge électrique et les aménagements cyclables, voici quelques pistes d’amélioration de l’accompagnement des publics :
- Limiter les besoins d’avance de trésorerie lors des achats de véhicules, en redynamisant le conventionnement entre l’ASP et les concessionnaires et établissements prêteurs, en auditant et potentiellement révisant le processus d’instruction des demandes, en valorisant la location longue durée et accélérant le projet de leasing social de l’Etat.
- Mieux cibler les bénéficiaires : s’émanciper du critère de revenu fiscal par parts, qui pénalise les personnes sans enfants, en privilégiant par exemple le revenu par unité de consommation, plus fin.
- Mieux cibler les véhicules: abaisser le plafond de poids pour l’éligibilité aux aides, en parallèle d’un abaissement du seuil du malus écologique, pour ne plus subventionner l’achat de SUV aux impacts délétères multiples (avec dérogations pour les familles nombreuses et PMR et seuils différents pour les véhicules électriques)
- Encourager la sobriété en renforçant les filières du rétrofit et des véhicules intermédiaires
- Garantir le prêt à taux zéro, le pérenniser et élargir les critères d’éligibilité aux classes moyennes
- Intégrer et fluidifier les demandes, instructions et utilisation des aides multimodales : à cet égard, il convient de s’inspirer de retours d’expérience locaux (Strasbourg, Bruxelles…) et de structurer un cadre national facilitant. Ce serait un débouché de choix pour l’expérimentation de « Mon Compte Mobilité » : offrir un portail unique pour les aides nationales et locales, affiner le ciblage et l’attribution des aides sans que les bénéficiaires n’aient à saisir leurs informations plus d’une fois…
- Massifier l’accompagnement individualisé: diagnostic mobilité, conseil, formation et tests de mobilité, voire aide à la souscription des demandes… Pour cet enjeu dépassant les seules ZFE, il est urgent de développer la formation de conseillers mobilités en s’appuyant sur les plates-formes de mobilité existantes (Wimoov, Réseau Mob’In…), spécialistes de l’accompagnement des publics en situation de précarité mobilité
Le contrôle-sanction automatisé… et des incitations renforcées ?
Une étape décisive s’ouvrira courant 2024 avec la mise en place du contrôle-sanction automatisé. Condition du respect et donc de l’efficacité des ZFE-m, cette perspective doit inviter à redoubler d’efforts pour renforcer l’acceptabilité des restrictions. Outre les dispositifs d’aides cités plus haut, pourquoi ne pas se servir des outils mis en place pour ajouter à la fonction de contrôle une fonction d’incitation aux usages vertueux grâce aux possibilités offertes par la technologie de LAPI (lecture automatique des plaques) ?
Le champ des possibles est vaste : péages positifs (par exemple, le projet Ecobonus de la Métropole Européenne de Lille), dérogations pour les covoitureurs (lien avec registre national de preuve de covoiturage), aides ou incitations plus ciblées en croisant les informations de situation et les données d’usages (supposant de créer des ponts entre un compte mobilité personnel et les données de lecture des plaques),sans faire de concessions en matière de protection des données personnelles. Ces perspectives impliquent une concertation étroite au niveau local mais également entre les collectivités et l’Etat : tant que les ZFE-m resteront dans le champ du pénal, le cadre fixé par l’Etat offrira des marges de manœuvre limitées.
[1] Étude Santé Publique France, juin 2016
[2] INSEE, « Enquête Mobilité des personnes », 2018
[3] Estimation réalisée par la Fondation pour la Nature et l’Homme et Wimoov dans le Baromètre des mobilités du quotidien, 2022.
[4] Ces externalités négatives, sont notamment résumées dans l’Avis de l’ADEME « Voitures électriques et bornes de recharge », publié en octobre 2022. qu’émettant moins d’énergie et émissions de CO2 liées la fabrication et l’utilisation du véhicule (y compris les VE : production de la batterie), émissions de particules fines liées à l’abrasion des pneus et au freinage.
[5] Agence des Services de Paiement : agence de l’Etat en charge de la gestion des aides