Les trottinettes, vélos et autres scooters en libre-service sans station (free floating) sont apparus au milieu des années 2010. Les collectivités territoriales ont alors été confrontées à l’installation de ces véhicules sur les trottoirs, sans infrastructures de stationnement ou de recharge, la recharge des véhicules étant généralement assurée par des travailleurs indépendants ou des salariés rémunérés par les entreprises propriétaires de la flotte.
Ces véhicules ont rapidement constitué une offre complémentaire de mobilité. Des problématiques ont accompagné cette émergence telles que le stationnement de ces flottes, les préoccupations environnementales, la sécurité des utilisateurs et ont alimenté les actualités à la fin des années 2010.
Face à ces nouveaux acteurs et services, des évolutions de la législation et des pratiques des collectivités territoriales, comme des acteurs privés, ont permis l’émergence d’un certain équilibre, d’une forme de régulation. Néanmoins, les interdictions qui frappent les opérateurs récemment ouvrent des interrogations quant à la gouvernance de ces flottes en libre-service. La récente interdiction via référendum des trottinettes en libre-service à Paris fait office de grande première et pourra servir d’exemple à d’autres municipalités.
Une apparition récente…
Les micromobilités partagées sont un phénomène apparu très récemment. Si les premiers essais remontent parfois à plusieurs dizaines d’années, comme ce fut le cas des vélos blancs d’Amsterdam en 1965 ou des vélos jaunes de La Rochelle en libre-service en 1976, ce n’est qu’avec l’apparition de la technologie numérique, et notamment des smartphones, que ces services ont connu un boom sans précédent.
En 2017, des entreprises, souvent chinoises, telles que Mobike ou Obo, mais aussi Lime ou Bird, commencent à proposer des flottes de vélos, de trottinettes électriques, de scooters en free floating. Le principal avantage que représentent ces offres de transport est la flexibilité, tant pour l’usager que pour les entreprises qui les opèrent ; l’absence d’équipements pour le stationnement, et donc d’obligation de retourner à une station pour emprunter ou rendre un véhicule, étant particulièrement plébiscitée. En outre, ces flottes de vélos ou de trottinettes constituent un complément aux transports publics tout en ne nécessitant aucun investissement pour la collectivité, ce qui a pu paraître appréciable, y compris à certains décideurs politiques. Ces micromobilités introduites ont également pu être décrites comme accessibles, inclusives et offrant une solution « du dernier kilomètre ».
… Aux nombreux points négatifs
Pour autant, de nombreux points négatifs sont venus émailler l’apparition des véhicules en libre-service sans station avec, en premier lieu, la critique concernant la restitution anarchique des véhicules qui sont régulièrement abandonnés sur les trottoirs. La durée de vie des véhicules, parfois inférieure à un mois à cause de dégradations, a suscité l’indignation pour des raisons écologiques, interrogeant même l’intérêt de ces véhicules qui peuvent venir polluer les cours d’eau et les autres milieux naturels où ils sont abandonnés. Enfin, le modèle économique a particulièrement interrogé, vis-à-vis de l’intervention de salariés indépendants au statut précaire ou de l’arrêt de nombreux services, faute de rentabilité.
L’usage de ces services par des publics plutôt jeunes et masculins et pour des raisons récréatives suscite de la même manière des réticences quant à l’utilité de tels systèmes[1].
La sécurité des usagers et des piétons a également été source de préoccupation, ce qui a amené à brider la vitesse maximale des trottinettes électriques, par exemple. L’exploitation des données, qui semble être le véritable modèle commercial de start-up comme Lime, ainsi que l’imposition de périmètres minimaux de couvertures (cas de Barcelone, par exemple), constituent des enjeux importants dont la puissance publique n’a pu apporter une réponse qu'a posteriori.
La construction de solutions d’encadrement de ces flottes
Devant cette accumulation de services et donc de véhicules utilisant la voie publique, les pouvoirs locaux, clairement démunis, ont réussi à obtenir au travers de la LOM et de son article 41 la possibilité d'émettre une autorisation d’occupation temporaire du domaine public (AOT), permettant aux opérateurs de free-floating sélectionnés d’opérer sur leurs territoires.
Les services de mobilité en libre-service peuvent ainsi être autorisés via des procédures applicables aux services de transport en commun traditionnels, à savoir des délégations de services publics ou des marchés publics. Les collectivités territoriales peuvent aussi procéder à un simple appel à manifestation d’intérêt (AMI), afin d’autoriser les fournisseurs de services à opérer sur leurs territoires, ce qui a été le cas dans au moins 17 villes et territoires entre 2020 et 2021. Ces AMI sont, en général, de courte durée ; un à deux ans dans leur grande majorité. Ils visent à contrôler le déploiement du service en permettant de vérifier la bonne tenue des engagements tels que la collecte des véhicules gênants dans un délai imparti. Une redevance peut également être appliquée à tous les véhicules exploités.
Dans la pratique, ces dispositions ont permis aux territoires de reprendre le contrôle sur ces services qui étaient proposés de manière anarchique, en imposant certaines règles et usages à respecter. L’application de redevances, souvent faibles, traduit une attitude plutôt positive des pouvoirs publics envers les opérateurs de micromobilités qui constituent de fait, un complément aux transports en commun existants. Notons cependant que certaines villes se sont toujours opposées à certains services, notamment aux trottinettes électriques, qui restent interdites à Villeurbanne mais aussi dans certaines villes de banlieue parisienne ou encore à Barcelone et Valence en Espagne, et que la récente interdiction parisienne pourrait faire des émules parmi d’autres collectivités. Cette première interdiction via référendum a particulièrement été médiatisée en France, mais aussi à l’étranger.
Des services, mais pour qui ?
L’arrivée de services de micromobilité, sans l’encadrement juridique qui permettrait de réguler ces services, a rapidement été contrebalancée par la LOM qui permet aux collectivités territoriales de reprendre le dessus sur des services subis. La limitation du nombre d’acteurs, comme l’obligation de respecter certains engagements qualitatifs mais aussi environnementaux, ont facilité la construction d'un certain équilibre entre opérateurs et collectivités territoriales. Ces avancées, qui concernent la régulation, semblent remises en cause par les interdictions récentes frappant ces services. Ils présentent, en effet, de nombreux points négatifs : un usage avant tout récréatif et urbain parfois en concurrence avec les réseaux de transports en commun, un intérêt à démontrer dans la chaîne des mobilités, une faible pertinence écologique des véhicules. Il semble opportun de se demander, à l’instar du chercheur catalan Xavier Bach, qui souhaite vraiment de ces services à part les opérateurs eux-mêmes…
[1] Étude réalisée par 6t-bureau de recherche avec le soutien de l’ADEME, Usages et usagers des trottinettes électriques en free-floating en France, Juin 2019.